Conseils
La bienveillance dans les entreprises

Très souvent, que cela soit dans des articles en lien avec le monde du travail, ou dans des chartes d’entreprises ou dans des réunions de responsables RH, on peut lire ou entendre : « Il faut remettre l’humain au centre ! » Personnellement, même si je retiens une intention positivement humaniste dans ce type de slogan, je me permets d’en proposer un autre : « Il est urgent que l’humain se recentre ! »


Christian Sinner profile picture Rédigé par Christian Sinner

Je viens d’achever une lecture qui devrait figurer dans les indispensables de toutes les formations des économistes d’entreprise et de management. Il s’agit du dernier livre de Jacques Lecomte : « Les entreprises humanistes. Comment elles vont changer le monde ». Si le titre, dans sa seconde partie, peut faire craindre le pire (l’auteur est-il un gourou ?), il n’en est rien. Le travail de documentation, d’enquête sur le terrain, de collationnement d’une documentation presque pléthorique à en croire les nombreuses pages de notes relatives à plusieurs auteurs, études, citations, etc. est une confirmation du redoutable sérieux avec lequel l’auteur a traité ce sujet, lui donnant une crédibilité certaine. Cet article ne reprendra qu’un aspect de l’ouvrage, celui de la bienveillance, que j’avais déjà abordé dans ma contribution précédente du mois de novembre dernier, afin de compléter cette approche.

Comment une conception positive de l’être humain peut permettre de contrer le langage guerrier de la compétition 

En effet, ce sont bel et bien des humains qui prennent les décisions politiques et économiques, les plus sensées comme les plus folles et pernicieuses ; ce sont des humains qui font la première place à l’argent, qui élaborent des stratégies destructrices du tissu sociétal ou environnemental ; ou au contraire, ce sont des humains qui soumettent leurs initiatives et leurs choix à des principes respectueux de la Terre et de leurs congénères.

C’est donc bien l’humain qui doit se recentrer

Pour moi, cela signifie aller vers plus d’intériorité, non pas pour gagner sa liberté au détriment des autres, mais pour gagner sa liberté intérieure. Celle qui l’affranchira des soumissions ou des révoltes mortifères, des frustrations ou de l’exacerbation des désirs ; celle qui lui permettra de trouver un sens à sa vie et d’en donner un à ses choix, à ses décisions en cohérence avec une conception positive de l’être humain.

L'exemple: Armor

Dans son prologue, Jacques Lecomte cite l’exemple du patron de l’entreprise Armor qui avait été nommé à sa tête en 2005 alors qu’elle était dans les plus grandes difficultés. Ce qui lui a permis d’éviter les licenciements massifs demandés par des investisseurs potentiels et d’entamer un redressement spectaculaire, ce sont deux postulats majeurs : « d’une part, sa sensibilité humaine et la confiance qu’il accorde à chacun des employés de l’entreprise ; d’autre part, son engagement en faveur de l’environnement. » De nombreux autres exemples de patrons sont cités dans ce livre et démontrent à l’évidence que tous sont des personnes qui se sont recentrées, qui ont fait une longue quête de lucidité et qui sont animées par la bienveillance : la qualité d’une volonté qui vise le bien et le bonheur d’autrui. Certes, on ne peut pas faire le bonheur d’autrui, mais on doit tout faire pour en faciliter l’émergence et la réalisation, sachant que le bonheur n’est pas un état permanent.

La bienveillance, une attitude volontaire pour nourrir le vivre-ensemble

Christophe Dejours vient confirmer cette vision : « Les entreprises doivent apprendre aussi à justifier leur organisation en termes de vivre-ensemble et de santé mentale, à prouver qu’elles sont des entreprises bienveillantes. » Très clairement, la bienveillance est bien l’affaire de l’individu, pas celle des procédures, même si celles-ci peuvent permettre d’identifier rapidement et de maîtriser tout comportement qui s’en écarterait.

Contrairement à l’image que nous nous en faisons, c’est bel et bien l’altruisme qui est une composante majeure du bonheur et donc de la motivation au travail. Les entreprises humanistes en sont l’éclatante démonstration. Une étude des sociologues Christian Baudelot et Michel Gollac montre que les trois mots qui reviennent le plus souvent lorsque des personnes parlent de bonheur au travail sont : « avec», « contacts» et « gens » ; d’autres mots sont fréquemment cités : « clients », « personnes », « rencontrer », « relations ». Et ces mots prennent toutes les couleurs du vivre-ensemble et de la coopération lorsqu’ils sont au sein de relations portées par la bienveillance.

La bienveillance et les répercussions sur le bien-être et la performance au travail

La reconnaissance et la considération ont un fort impact sur la motivation intrinsèque des individus au travail. Celui qui se sent reconnu est animé de forces supplémentaires, que cela soit sur le plan de l’énergie ou celui de la créativité.

L’exemple de Christian Travier (Directeur Laval Mayenne Technopole) illustre l’attitude bienveillante qui anime sa personne dans son rôle : « mener une équipe, ce n’est pas donner des ordres, c’est d’abord s’efforcer de comprendre les gens et utiliser la méthode qui convient à chacun. L’autorité vient de ce que l’on est, pas de ce que l’on impose. Il faut savoir être à la fois bienveillant et exigeant. » Celui-ci applique d’ailleurs le concept de leader serviteur, expliqué par Jacques Lecomte : « Le manager, c’est d’abord un serviteur. Son rôle n’est pas de donner des ordres, mais d’aider l’équipe à atteindre ses objectifs. »

Le même Christian Travier montre l’importance qu’il attache à la reconnaissance dans les propos suivants : « Je tiens à remercier chaque personne pour son apport spécifique. Un mail général de remerciements un peu flou, ça n’a pas de sens à mes yeux. C’est important que chacun sente que j’ai apprécié ce qu’il ou elle a apporté dans l’œuvre commune. » Jacques Lecomte met en évidence le fait que reconnaissance et motivation sont l’objet d’une spirale vertueuse entre elles. « Chacun s’efforce de faire au mieux, ce qui entraîne un regard positif par autrui, lequel encourage en retour à s’impliquer davantage dans l’action. »

La bienveillance s’exprime aussi par la justice et par une démarche appréciative

L’auteur met en évidence l’importance de la justice dans le monde des organisations. Il décline cette notion sous trois aspects : 

  • La justice distributive touche à la rémunération, aux promotions, etc.
  • La justice procédurale tient à la manière dont les décisions sont prises et au fait de pouvoir donner son avis
  • La justice interactionnelle désigne le fait que les employés sont sensibles à la qualité de la relation avec leur supérieur, qu’ils soient traités avec politesse et respect.

Enfin, si les décideurs se concentrent sur ce qui fonctionne bien au sein de l’organisation, ils permettent de cultiver les points forts et de découvrir des compétences insoupçonnées. Ils ouvrent ainsi la porte à une meilleure créativité, des approches innovantes chez leurs cadres et collaborateurs. C’est ce qu’on appelle la démarche appréciative (Appreciative inquiry). Cette méthode repose sur une conception positive de l’être humain dans sa relation aux autres et au monde environnant. « Ce n’est plus l’individu, mais la relation avec autrui qui constitue le centre de la connaissance », nous dit Jacques Lecomte 

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