Conseils
L’empathie au service d’une nouvelle culture d’entreprise!

Dans mon article précédent, j’ai contribué à définir l’empathie et à en dessiner les contours. A clarifier ce qu’elle est et ce qu’elle n’est pas. Notamment, nous avons vu que l’empathie n’était de loin pas une attitude fréquente et naturelle dans le monde du travail, que cela soit entre collègues ou dans les relations hiérarchiques. Je vous propose d’aborder cette notion en tentant de voir comment l’empathie pourrait émerger et rayonner davantage dans nos relations professionnelles et quelles sont les transformations que toute entreprise ou administration doit mettre en œuvre pour développer une culture bienveillante. Pour cela, je tirerai mon inspiration d’auteurs et d’ouvrages déjà cités précédemment, mais également de nouvelles sources, ainsi que de mon expérience.

Christian Sinner profile picture Rédigé par Christian Sinner

Xavier Cornette de Saint Cyr (L’empathie, un chemin vers la bienveillance) distingue trois modes préférentiels de communication selon les individus, le mode privilégié n’excluant pas le choix d’un autre selon les contextes :

  • La communication centrée sur soi qui se caractérise par le fait que nous partons du principe que nous avons raison ou que les gens partagent nos croyances et nos valeurs de toute manière. C’est donc un a priori qui nous fait baigner dans l’erreur et dans une communication souvent très partielle et partiale. Le conseil et la prise de pouvoir sont des attitudes fréquentes.
  • La communication dans l’oubli de soi, un processus inverse au précédent. La tendance est de calquer notre point de vue, notre attitude, nos réactions sur l’autre et de passer notre propre point de vue sous silence. Dans une telle perspective, les émotions nous envahissent et sont un barrage à la prise de recul si nécessaire pour être empathique (entrer dans le monde de l’autre sans se laisser absorber par ce monde-là).
  • La communication équilibrée est celle qui permet de se centrer sur l’autre sans s’oublier soi-même. « Nous conservons la conscience de nos propres critères tout en tenant compte de ceux de l’autre, même contraires, pour les comprendre et les faire cohabiter. Sa force repose sur le respect et l’argumentation », nous dit l’auteur. C’est là que se trouve la voie de la coopération. 

Maria-Elisa Hurtado-Graciet nous cite la parole d’un grand maître dont je n’ai pas retrouvé le nom : « La réalité de ce que nous percevons n’est que la projection de ce que nous avons à l’intérieur. » (La pureté du coeur, chap. du livre "10 vertus pour cultiver son jardin intérieur - Plusieurs auteurs - Editions Jouvence 2015)  L’auteur nous rend attentifs au fait que « chaque fois que je porte un regard sur les autres ou les événements extérieurs, je peux vérifier comment je suis à l’intérieur et quelle est la transparence de mon regard ou quels sont les filtres qui sont en train de troubler ma perception. »

Comment favoriser une communication équilibrée ?

C’est lorsque les deux premiers modes sont utilisés de manière quasi systématique ou permanente qu’ils posent un sérieux problème pour développer une communication dans l’authenticité, avec empathie. Il y a toutefois des circonstances où ils se justifient. Par exemple, « être centré sur soi » se justifie pour mener à bien un projet ou défendre une cause ; ce sont des moments où l’interlocuteur ne s’attend en général pas à un autre mode de communication. Il est aussi possible d’être dans l’oubli de soi lorsqu’un proche se confie à nous également ; il n’attend rien d’autre en général qu’une écoute simple et complète dans un tel contexte. 

Pour favoriser une communication équilibrée il s’agit de réunir trois conditions, selon Xavier Cornette de Saint Cyr : faire preuve de volonté, de disponibilité et de curiosité. 

  • La volonté résulte d’une prise de conscience que je tiens à entretenir une relation authentique et complète, à m’impliquer, à écouter et à me situer sur le terrain de l’autre. « L’écoute, c’est s’intéresser réellement et sincèrement à l’autre. » Elle exclut d’emblée la manipulation.
  • La disponibilité, c’est la présence, ayant exclu toute source de dérangement. Je ne peux pas communiquer de manière équilibrée sur le pas de porte, entre deux rendez-vous, ou en consultant mon portable ou mon écran, ou en faisant de l’ordre sur mon bureau. La disponibilité exige aussi que je mette momentanément de côté mes propres vérités sur l’autre ou relatives à ce qu’il exprime; j’écoute sans d’ores et déjà construire une répartie.
  • La curiosité est un bon moyen de parvenir à nouer une communication équilibrée. Orientez votre attention, en questionnant, en tentant de comprendre, de visualiser, de ressentir au lieu de favoriser votre propre point de vue. Ainsi vous devenez davantage présent à l’autre et vous actionnez un levier de l’empathie. Alors que si vous vous concentrez sur la comparaison, ce qui vous sépare de l’autre, vous aurez tendance à cultiver le ressentiment, le pouvoir, la crainte ou l’autorité.

Quatre écueils à éviter

Selon notre auteur, il y a quatre écueils à éviter dans la communication, lorsque nous recherchons consciemment une communication équilibrée, une communication empathique.

  • La tyrannie du ON – Lorsque le ON est utilisé, s’agit-il du JE ou alors l’interlocuteur est-il tombé dans la généralisation, le lieu commun. Il est nécessaire de le clarifier.
  • La conduite dans le brouillard – De quoi parle-t-on ? Que recouvrent les concepts que l’interlocuteur utilise, comme par exemple l’amitié, la sécurité, la performance, faire du sport, une nourriture saine, etc. Chacun a son interprétation de ces concepts, en fonction de son éducation, de ses filtres et de son expérience. Donc à clarifier !
  • Le dérapage incontrôlé – Ceci se passe lorsque la réponse n’est absolument pas en lien avec la question posée. Autrement dit, l’interlocuteur cherche à éviter, à manipuler ou à orienter sur un terrain plus favorable. Notre auteur donne un échange parlant. Question : « Comment pourrait-on empêcher la souffrance des animaux dans les abattoirs ? » - Réponse de l’interlocuteur : « On n’est pas obligé d’être végétarien comme toi ! ». La seule réaction est le recadrage, avec empathie bien entendu. Comme nous l’avons vu, l’empathie est un chemin précieux vers la bienveillance ; et la bienveillance n’exclut en rien la rigueur et la fermeté dans la douceur.
  • La collision (in)évitable – Dans la question posée, qui recherche une information, il y a une explication qui est souvent prise comme une agression, comme s’il y avait un sous-entendu. L’exemple donné par l’auteur est parlant : « Pourquoi as-tu fait ton dossier en 2 exemplaires ? » ; voilà une réponse manifestant une interprétation comme un jugement : « Quoi, il te plaît pas mon travail ? » La tentation, hors conscience de la nécessité d’être empathique serait certainement : « Quel sale caractère tu as ! ». Il vaudrait mieux, avec empathie, répondre : « Je ne dis pas ça. Je souhaite juste savoir pourquoi tu as fait deux exemplaires et pas un seul. » Il est donc nécessaire d’avoir une compréhension précise avant de répondre.

L’éducation et la formation continue : des ambitions qui doivent impérativement évoluer

Je n’aborderai pas dans cet article toutes les suggestions de Xavier Cornette de Saint-Cyr destinées à vous faire devenir des praticiens experts de l’empathie. J’aurai sans doute l’occasion de revenir sur certaines pratiques liées à l’écoute et à l’expression dans d’autres occasions. 

Selon mon point de vue, les entreprises et les administrations auraient tout intérêt à développer les compétences de leurs collaborateurs et managers dans les relations humaines ; on peut se demander d’ailleurs pourquoi nos écoles, qu’elles soient primaires, secondaires ou hautes écoles n’abordent pratiquement pas ce domaine dans leurs programmes, sinon pour formater quelques savoir-être. 

Frédéric Lenoir, philosophe, spécialiste des spiritualités du monde, et écrivain, met en évidence que « l’éducation se préoccupe de moins en moins de transmettre un savoir-être, au profit d’un savoir-faire. Elle vise davantage à nous permettre de faire face aux défis extérieurs de l’existence qu’aux défis intérieurs. » (Petit traité de vie intérieure - Editions Plon 2010).  Pourquoi l’éducation et les formations continues ne nous apprennent-elles pas à développer notre lucidité, notre connaissance de soi, à développer un esprit critique (lorsqu’elles le font, elles axent ce sens critique à l’égard de l’extérieur exclusivement), à vivre ensemble finalement ? 

Nous avons un impératif besoin de contrer la déshumanisation des relations ; ce ne sont pas des opinions, des jugements ou des critiques, de l’indignation affichées sur les réseaux sociaux ou via des tweets qui vont nous permettre de changer le monde, ou plus modestement de contribuer à changer les relations au sein de notre entreprise. « Se changer, cela commence donc par prendre soin de soi en aiguisant nos capacités de conscience, de sagesse et d’empathie. Nous sommes l’instrument par lequel nous pouvons agir sur le monde. Et ce travail est d’autant plus important que notre action présente un caractère d’urgence sans précédent. » (Se changer, changer le monde - Chap. 1: Répondre au mal-être contemporain - Ilios Kotsou, Caroline Lesire, Pierre Rabhi, Matthieu Ricard - Editions L'Iconoclaste 2013)

Le développement de l’empathie dans l’entreprise : un défi essentiel

L’empathie, ce chemin vers la bienveillance, peut devenir un élément central dans la culture d’une entreprise. En cela, Jacques Lecomte nous en donne de nombreux exemples ainsi que des pistes à suivre dans son excellent ouvrage « Les entreprises humanistes » (Les entreprises humanistes. Comment elles vont changer le monde - Edition des Arènes, 2016). 

Les moyens d’y parvenir peuvent s’inspirer du Projet d’entreprendre que nous propose Jacques Salomé (Oser travailler heureux. Entre prendre et donner - Editions Albin Michel, 2000) . Il s’agit de développer le mieux-vivre ensemble, le mieux-être avec soi et le mieux relationnel avec l’autre. Un projet commun et partagé, au service d’une ambition commune, est une condition indispensable pour que puissent converger les énergies individuelles.

C’est une évidence que pour faire vivre cette espérance la responsabilité des managers et la transformation de leur rôle est un passage obligé. L’auteur précise les axes de cette évolution (ou révolution ?) : un manager est au service de ses collaborateurs – être manager, c’est exercer une fonction de référence (exemplarité dans les décisions et les actes) – un manager assume des devoirs vis-à-vis des personnes – un manager met en pratique des principes simples et innovants que Salomé décrit dans son ouvrage.

L’organisation devra construire un nouveau mode de collaboration et de négociation. Elle passera d’une logique d’opposition à celle d’apposition ; il s’agit de sortir d’une logique d’affrontement, celle qui est favorisée par la communication centrée sur soi, comme nous l’avons vu plus avant. C’est aussi un nouveau modèle de collaboration qui doit émerger, beaucoup plus proche de la coopération. « Nous pouvons être en divergence sur un projet sans que cela mette en cause notre relation personnelle avec ceux qui s’y engagent. » nous explique Jacques Salomé. Pour cela, il est indispensable que chacun travaille avec lucidité sur son intériorité. 

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