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La nécessaire conquête de l'intériorité pour améliorer ses compétences professionnelles

Il existe de nombreux cours liés aux relations humaines, notamment pour le management, où les participants sont formés à l’utilisation d’outils de communication, de gestion de conflits, de motivation, etc. Si l’usage de bon nombre de ces outils est efficace ou pertinent, il n’en demeure pas moins que, selon mon point de vue, il y a une condition indispensable à aborder en priorité : il faut laisser beaucoup d’espace et de temps à la quête de son intériorité. Cela peut vous paraître d’une banalité affligeante ; mais nos vies trépidantes, consacrées à l’action et submergées de divertissements, hyper connectés que nous sommes, nous empêchent du cultiver notre jardin intérieur.

Christian Sinner profile picture Rédigé par Christian Sinner

« On ne travaille jamais assez à nourrir son âme », nous dit Christophe André. C’est une caractéristique évidente dans notre société occidentale contemporaine. L’éducation se préoccupe de moins en moins ou en tout cas insuffisamment de transmettre un savoir-être, se concentrant sur un savoir-faire. Nous sommes davantage prêts à faire face à des défis extérieurs qu’intérieurs, comme le constate le philosophe Frédéric Lenoir dans son livre « Petit traité de vie intérieure ».

Notre époque oublie l’être et nous programme pour le faire et l’avoir

Très clairement, notre société occidentale vit majoritairement dans l’oubli de l’être, obnubilée par le faire et par l’avoir, car profondément intoxiquée par les notions de performance, de compétition, de divertissements, d’individualisme ou de toute puissance des technologies et, bientôt, de l’intelligence artificielle. 

Jacques de Coulon, professeur de philosophie et ancien recteur du collège Saint-Michel de Fribourg, a écrit le chapitre intitulé « La joie de l’être » dans le livre « 10 vertus pour cultiver son jardin intérieur » paru aux éditions Jouvence 2015. Il y relève que la plus grande partie de l’humanité vit dans les villes et s’éloigne de plus en plus de la nature. D’autre part, la plupart des gens se cloîtrent des heures devant un écran ; « nos cyberdépendants ne font que s’enfermer dans des productions humaines, des ersatz d’être. Nous ne vivons plus dans l’être mais dans des produits dérivés de l’être, en ayant l’illusion que tout dépend de nous puisque nous pouvons manipuler des programmes et construire des immeubles ou des voitures de plus en plus sophistiquées. Nous avons tous simplement perdu le sens de la réalité. » (p. 54)

Matthieu Ricard, dans un petit ouvrage coécrit avec d’autres personnalités d’exception « Se changer, changer le monde » (Editions J’ai Lu, collection Bien-être – 2013), dit dans son chapitre « Demain, un monde d’altruistes » : « […] les gens pensent qu’en se concentrant sur les valeurs extrinsèques (possessions, image, consommation) ils auront les meilleures chances d’être heureux. L’expérience vécue et les recherches en psychologie montrent au contraire que ce sont les valeurs intrinsèques, comme l’amitié, les liens sociaux, le contentement, la « sobriété heureuse » dont parle Pierre Rabhi, qui apportent le plus de satisfaction. » Ces valeurs intrinsèques, c’est en accédant à son intériorité, en pleine conscience, qu’il devient possible de les identifier, puis de les vivre avec et pour les autres. 

Vie intérieure, pensées intimes, ruminations ou réflexions ?

Et pourtant, nous avons tous cette petite voix intérieure qui se met en route à notre réveil et nous accompagne jusqu’au sommeil. Ces pensées sont parfois des idées, parfois des impressions et elles ressemblent au cours d’une rivière, d’un fleuve, ou d’autres fois d’un véritable torrent assourdissant : elles ne cessent quasiment pas de s’écouler. 

Un dossier très bien documenté intitulé « Nos vies intérieures » a récemment paru dans le magazine Sciences humaines (no 294 – juillet 2017). On y apprend qu’il y a différents types de pensées et que celles-ci émergent d’une conscience personnelle, qu’elles passent par différents états, qu’elles sont un flot continu et que cette conscience est sélective et subjective. Nos pensées intérieures sont de plusieurs types : elles se rapportent à nos désirs et à nos peurs ; elles portent sur des préoccupations concrètes, des soucis, ou elles sont encore vagabondes, leur source étant la rêverie. Jean-François Dortier, l’auteur de cet article, nous dit encore que ces pensées sont nécessaires et qu’elles permettent aux humains de « transformer leurs besoins en buts, analyser les situations, produire des jugements, faire des choix, définir des projets, élaborer des scénarios, orienter leurs actions et planifier leurs vies. »

Christophe André, psychiatre et coauteur du livre « Trois amis en quête de sagesse » (Editions Allary, l’Iconoclaste) attire notre attention sur la nécessité, pour accroître notre bien-être, de faire la distinction entre rumination et réflexion. Dans la réflexion, nous dit-il, on raisonne, on évalue et analyse, on cherche des solutions, tandis que dans la rumination on remâche, on ressasse, on se laisse submerger par ses émotions et on souffre.

Qu’est-ce que l’être ? Qui suis-je ? 

Ces deux questions majeures nous conduisent vers l’intériorité. C’est la grande question posée à travers les siècles par de nombreux philosophes. Si le mot philosophie peut paraître pompeux, donner le sentiment que l’on devient présomptueux, c’est une grave erreur. La philosophie n’est-elle pas l’amour de la sagesse ? La sagesse n’est pas un état, mais doit être considérée comme un chemin, le chemin de chacun d’entre nous. Comme le dit Luc Ferry, à travers la philosophie je cherche à répondre à la question « qu’est-ce que la vie bonne ? »

Pour Alexandre Jollien, philosophe suisse et personnalité bien connue chez nous, la conquête de l’intériorité est une invitation à vivre meilleur plutôt qu’à vivre mieux. En parlant de lui et de sa découverte de la philosophie, il écrit dans « Trois amis en quête de sagesse » : « L’aventure pouvait commencer, et c’est un jeune adolescent désarmé qui s’est lancé vers le progrès, qui a osé descendre dans l’intériorité. Avant, je ne cherchais le bonheur qu’à l’extérieur, je me réfugiais dans l’espoir d’une vie meilleure sans oser changer mon regard sur le monde. » Aller dans son intériorité, c’est une quête de spiritualité.

François Cheng, membre de l’Académie française et poète, a écrit un livre splendide et d’une rare profondeur qui s’intitule « De l’Âme » (Editions Albin Michel, 2016) ; il s’agit de sept lettres qu’il a écrites à une femme d’une grande beauté qu’il avait rencontrée dans le métro dans le passé, qui l’avait reconnu, et avec laquelle une conversation s’était engagée. Celle-ci 30 ans plus tard lui demande de lui parler de l’âme. J’aime beaucoup, dans sa deuxième lettre, la façon qu’il a de mettre en avant la recherche d’intériorité comme un véritable besoin : « Au fin fond de notre être, nous savons que la vie, surtout pour ce qui est de la vie humaine, n’est pas dans le fonctionnement aveugle de ce qui existe, mais implique toujours un élan vers une possibilité d’être plus élevé. » (p. 25)

La conquête de son intériorité allège l’ego

Dans mon activité de coach, j’adopte le plus possible une posture de relation d’aide, bien davantage qu’une posture de conseil. L’objectif est que ce temps de coaching conduise la personne dans son intériorité, au fond du fond, comme le dit Alexandre Jollien. Mon expérience me montre que les personnes que j’accompagne, au moment où elles découvrent et comprennent un mode de fonctionnement qui leur est propre, voient leur visage et leur regard s’ouvrir et s’illuminer, une certaine joie les habiter.

Jollien nous invite à réfléchir à qui nous référer pour apprendre à vivre, quelles sont les vertus et les qualités que nous souhaitons cultiver pour cheminer. Ce travail est le travail de toute une vie, un travail de transformation intérieure.

On pourrait se dire qu’à force de travailler son intériorité on risquerait de devenir narcissique, égocentrique, voire égoïste, oubliant l’autre et le monde. C’est une grossière erreur. En effet, cultiver son intériorité n’a strictement rien à voir avec cultiver son ego. Bien au contraire. L’estime de soi peut vivre deux pathologies, selon Christophe André. Soit elle peut se caractériser par un excès d’attachement à soi ; c’est ce qu’on voit chez la personne narcissique. Soit elle peut être un manque d’estime de soi dans lequel la personne vit un attachement négatif. Ce qui permet de ne pas tomber dans l’une ou dans l’autre en travaillant son intériorité, c’est de cultiver le sentiment d’appartenance, de fraternité avec les autres. Autrement dit, il s’agit de développer ses compétences d’altruisme, un terme cher à Matthieu Ricard (Plaidoyer pour l’altruisme – NiL Editions, Paris 2013).

Le travail d’intériorité, un pont vers des relations authentiques

Le philosophe Jean-Jacques Rousseau nous invitait déjà au XVIIIe siècle à faire une distinction entre l’amour-propre, qui est une passion sociale nous condamnant à vivre obsédés par « le qu’en-dira-t-on, la soif du paraître, le désir de domination, le goût du pouvoir. Au fond, l’amour propre surgit de la comparaison », comme le dit Alexandre Jollien (p. 80). Tandis que l’amour de soi nous invite à prendre soin de notre vie, à tout mettre en œuvre pour progresser. Je ne résiste pas à paraphraser Jollien qui distingue le moi social, soit l’ensemble des rôles que l’on joue quotidiennement, et le fond du fond, notre intimité ou notre intériorité, qui vit et se manifeste en dehors de toute étiquette.

« L’ego sain [ou la force intérieure dans le bouddhisme] est l’ego transparent de celui qui dispose d’un vaste espace de paix intérieure dans lequel il peut accueillir les autres, car il n’est pas obsédé par sa propre situation » nous dit Matthieu Ricard (p. 86).

C’est dans ce travail d’intériorité que l’on parvient à trouver l’authenticité, à élever nos consciences. Grâce à la conscience de notre interdépendance, je prends toute la mesure de ce que je dois aux autres et de ce que je peux apporter aux autres. Il est vivement conseillé à ce propos de prendre des douches de gratitude, de reconnaissance pour tout ce qui nous a été donné, appris par d’autres. Donner, recevoir, rendre, voilà une spirale vertueuse. « L’élévation et la gratitude nous permettent de nous sentir bien, mais elles nous incitent aussi à nous améliorer : en cela, elles influencent profondément nos comportements et nos relations » (Caroline Lesire & Ilios Kotsou – Se changer, changer le monde – Chapitre « La conscience en action » - p. 149).

On le voit : tout le travail d’intériorité que nous allons entreprendre sera bénéfique aux autres, à nos relations humaines, y compris dans le monde du travail, dans nos organisations, puisque le rôle et la mission que nous serons amenés à assumer seront habités par une personne authentique, consciente de son interdépendance et sachant témoigner de la gratitude. Une des conséquences de cette recherche personnelle sera de réduire autant que possible le décalage entre 

  • ce que je dis et ce que je pense 
  • ce que j’exprime et ce que je ressens 
  • ce que j’éprouve et ce que je fais.

Vous me direz : « Mais il en faut du temps pour faire ce travail d’introspection et d’intériorité !» Je vous propose ma conclusion en citant Pierre Rabhi, dans le dernier ouvrage cité (p. 122) : « On oublie trop souvent que ce n’est pas le temps qui passe, mais nous qui passons. Nous passons trop souvent à côté de nos vies, qu’il nous faut apprendre à habiter tous les instants. »

Pont et son reflet sur le Célé - Christian Sinner - octobre 2017

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